Un homme en deux parties

Avez-vous déjà croisé dans la rue du Parc-Royal un homme en deux parties ? S'il se divise, très souvent, sur la verticale, j'affirme sans possibilité de me tromper – puisque cet homme je le connais – que de quatre à cinq avant l'aube, dans cette même rue, pendant une heure au moins, il est entier comme personne et délivré de ses fantômes. Sans savoir si je cherchais les deux parties de cet homme ou la carte des milles sous-divisions de moi-même, je me suis reconnu : appuyé sur une porte de métal pauvre, derrière laquelle un papillon de nuit entreprenait de dévisser un à un les trois points de la serrure. Une patrouille passe. Deux uniformes sont à l'avant de la voiture. Je ne croise pas les regards de ceux qui les portent car leur tête est dévissée, je ne vois que les coudes qui débordent des portières dont les vitres sont baissées, et ce sont eux qui me scrutent. À cet instant, rappelez-vous, je suis un homme en une partie, la chose n'étant déjà pas banale pour moi-même je dois nécessairement en déduire qu'elle sera perçue comme suspecte. J'envoie le signe convenu à mon complice papillon pour l'avertir d'une présence. J'entends derrière mon dos qu'il replie ses ailes au dessus de son corps, fidèle à la position qu'il adopte au repos. La patrouille s'éloigne et disparaît à l'équerre de la rue, sans n'avoir rien deviné de l'adorable complot qui s'organise dans l'inconnu. Je tapote du poing sur la porte pour signifier à mon ami que le danger est écarté. Je sais qu'il retourne à son ouvrage quand les vibrations du travail s'offrent une promenade dans mon torse, chaque vis retirée de la porte soulage mon dos d'un élément étranger. Mon cœur se desserre d'un petit centimètre, je suis amoureux mais j'ignore de quel être. La patrouille semble avoir décidé de revenir, en trouvant malin de me surprendre par la rue de Sévigné. J'estime à une vingtaine de mètres la distance qui nous sépare. Pour la seconde fois je me trouve écrasé entre l'ordre et le délit. Conscient, néanmoins, que la véritable délinquance a les coudes sur les portières. Elle m'observe, m'épie, je cogne sur la porte et toute la ville se fige. J'ai de la magie au bout des doigts, et avec elle je manœuvre sur une double-scène insensée. Le silence sera rompu par la voiture qui redémarre mais le coup de filet n'a pas eu lieu, ce n'est pas si facilement qu'on attrape des papillons.

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